Lutte contre la gabegie : Ombre et lumières

Publié le par Abou Mélika

C’est un principe partagé aujourd’hui par tous les mauritaniens : Avant l’arrivée d’Aziz au pouvoir, le credo de tous les responsables était fort simple : « détourne et tais-toi » ! On se rappelle encore de cette histoire des faux chiffres qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Quand le Fonds monétaire international (FMI) avait découvert (en 2004, je crois) que les autorités nationales «trafiquotaient», à dessein, pour tromper la vigilance des bailleurs et continuer à profiter de leurs largesses en matière de lutte contre la pauvreté. La découverte du pot aux roses avait conduit au débarquement, sans ménagement, des principaux responsables de notre économie nationale : Maed, Ministre des Finances, Gouverneur de la Banque Centrale. C’était encore sous Taya mais cette « lutte contre la gabegie » n’était faite que pour sauver les apparences, à un moment où le navire commençait à couler.

On se rappelle également que le début de la Transition avait reposé la question de l’utilisation des ressources financières nationales, qu’elles soient propres à l’Etat ou argent provenant de l’aide publique au développement (APD).

De l’avis de tous les observateurs, le succès relatif de la Transition militaire 2005-2007, au plan politique, avait été terni par le saccage des ressources nationales. Au niveau de la gestion de la nouvelle manne pétrolière (avenants de Woodside) et des énormes engagements financiers faits au nom du processus de démocratisation qui engloutira des dizaines de milliards d’ouguiyas. Une gabegie qui passera pour justifiable aux yeux des autorités qui viendront après (Sidi Ould Cheikh Abdallahi et Mohamed Ould Abdel Aziz qui a « rectifié » son régime), même si Zeine Ould Zeidane, devenu Premier ministre, n’avait pas hésité à dénoncer le saccage économico-financier opéré par les autorités de la Transition.

C’est dans un tel contexte que survient la « Rectification » du général Aziz dont l’un des axes principaux était la mise en avant du refus de « revenir en arrière » avec tout ce que cela comporte comme clientélisme politique, affairisme, détournements des biens publics, implication de la famille, au sens stricto sensu mais aussi tribal du terme, dans la gestion de l’Etat. Tout le monde se rappelle, dans ce cadre précis, du mauvais procès que les militaires et leurs alliés politiques au niveau du Parlement avaient voulu faire au président déchu Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, à travers, justement, l’implication de son épouse, Khattou Mint El Boukhary, dans le différend qui l’opposait aux généraux Aziz et Ghazouani. Mise en place, donc, d’une Haute Cour de Justice, menace de présenter l’ex Première Dame comme première « cobaye » d’une lutte contre la gabegie qui, par la suite, donnera du tournis aux mauritaniens par son savant jeu d’ombre et de lumières. Des personnalités de premier plan, tels Yahya Ould Ahmed Waghef (le Premier ministre de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi Abdallahi), Boidiel Ould Houmeid (ancien ministre de Taya et ministre Secrétaire général de la Présidence sous Sidioca), les richissimes hommes d’affaires Mohamed Ould Noueïgued et Chriv Ould Abdallahi (cousins de Taya et soutiens financiers, pensaient-on, d’Ahmed Ould Daddah), l’ancien gouverneur de la BCM, Sid’El Moctar Ould Nagi (cousin de Sidioca et opposant farouche au putsch d’Aziz) ont alors étaient les premières victimes expiatoires d’une lutte contre la gabegie dont les contours étaient encore flous. On le dit et on le pense parce que toutes ces histoires de « détournements » portant sur des milliards d’ouguiyas, entretenues médiatiquement par la radio et la TVM, le temps de la crise qui opposait les pro et anti coup d’Etat du 06 août 2008, avaient fini en queue de poisson ou en accommodements politico-tribalo-économiques qui laissaient penser à des moyens de pression exercés sur ces hommes pour les faire plier. La suite des évènements est connue : Les hommes d’affaires ont négocié une solution à l’amiable avec la BCM, grâce à l’intervention, auprès du Raïs, de l’érudit Cheikh Mohamed El Hacen Ould Deddew, l’ex Premier ministre Ould Waghef a été libéré, dans le cadre de l’Accord, devenu « historique », de Dakar et Boidiel Ould Houmeid avait été contraint de payer 102 millions d’UM au Trésor public pour ne pas subir ce qui ressemblait bien à une « contrainte par corps » exercés sur tous qui ont eu le malheur de figurer sur la liste noire du pouvoir d’Aziz.

Sur ces affaires-là, les avis des mauritaniens étaient partagés. Coupables, aux yeux de tous ceux qui croyaient, dur comme roche, à la volonté du président Aziz de mener une guerre sans merci aux « budgétivores » passés, présents et à venir, ou qui, en tant qu’hommes politiques du premier cercle, défendaient le pouvoir contre vents et marées. Victimes expiatoires d’un système en mal d’audience et enfoncé dans la crise née du coup d’Etat, rétorquent les opposants au régime, les parents et amis, des hommes arrêtés. A ce niveau là, un premier doute s’installe.

Lutte contre la gabegie ou règlements de compte ?

L’appartenance des hommes politiques et des hommes d’affaires à un seul bord (l’opposition) poussait certains à s’interroger : Lutte contre la gabegie ou règlements de compte ? Pour certains, le paradoxe de la situation est que l’un n’exclut pas l’autre. Il faut bien commencer par quelqu’un et l’impertinence politique envers le pouvoir de ceux qui se sont rangés dans le camp du Front national pour la défense de la démocratie (FNDD) ne pouvait rencontrer de la part du pouvoir putschiste d’alors que l’arme de la « répression » politique et morale lui permettant, à moindres frais, d’accuser les opposants de vouloir ramener le Système Taya.

Pourtant, cette recette dans le domaine de la lutte contre la gabegie ne fonctionnera pas à plein régime. L’opposition, nettement mieux armée que les soutiens d’Aziz, dans le domaine de la contre-propagande, parviendra à pousser le pouvoir à rechercher aussi des « gabégistes », supposés ou réels, dans ses propres rangs. On retiendra, dans ce qui ressemble bien à une nouvelle chasse aux sorcières les noms d’Ahmed Ould Khattry, ancien directeur national de la Procapec (Promotion des caisses populaires d’épargne et de crédit), qu’Aziz avait accusé publiquement d’avoir dilapidé des centaines de millions d’UM, et qui vient pourtant d’être élargi, après deux ans d’incarcération douteuse. A quelques mois près, la peine à laquelle il a été condamné en plus d’une amende de 6 millions d’ouguiyas ! Ce qui poussent les observateurs de cette rocambolesque affaire à parler non pas d’un « cas » permettant au pouvoir de dire que même ses alliés n’échappent pas au couperet de la justice, mais d’un règlement de compte qui n’a pas livré tous ses secrets. Dans cette liste des pro-pouvoir censés avoir dilapidé les biens publics, figurent aussi les noms de l’ancien Commissaire aux Droits de l’homme, à la lutte contre la pauvreté et à l’insertion, Mohamed Lemine Ould Dadde, le maire de Jidrel Mohguen et percepteur du Port autonome de Nouakchott, Cheikh Ould Maouloud ainsi que l’ancien responsable du programme national de lutte contre le Sida, beau-frère du Premier ministre, Moulay Ould Mohamed Laghdaf, qui après avoir refusé de reconnaître les faits qui lui sont reprochés, a fini par être relâché comme si de rien n’était. Finalement, les mauritaniens ont pris l’habitude de ces arrestations-libérations qui ont fini par vider la lutte contre la gabegie de tout son sens. Pas parce que les hommes jetés en prison (et en pâture à la vindicte populaire) étaient forcément coupables, mais parce que rien ne permettait plus de distinguer le vrai du faux.

Sneiba Mohamed

 

 

Publié dans Mauritaniennes

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