Nouakchott – Dakar : Un clash diplomatique en perspective ?

Publié le par Abou Mélika

L’opposant et homme d’affaires mauritanien Moustapha Ould Limam Chavii pourrait-il être la goutte qui fait déborder le vase dans les relations entre la Mauritanie et le Sénégal ? Une question qui se pose avec acuité, avec la demande d’extradition formulée, vendredi dernier, par le ministre mauritanien de l’Intérieur, Mohamed Ould Boillil, mais refusé par Dakar.


La raison invoquée par les autorités sénégalais est que Ould Chavii, mauritanien certes, mais qui fait office de conseiller pour plusieurs chefs d’Etats africains (Blaise Compaoré, du Burkina Faso, Alassane Ouattara de Cote d’Ivoire et Issouffou du Niger) était en mission officielle à Dakar et qu’on ne peut l’arrêter pour le simple fait qu’il s’oppose au pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz. Une manière de dire que les accusations d’accointances avec le terrorisme dans la sous région sahélo-saharienne (Al Qaeda au Maghreb Islamique) dont l’affuble Nouakchott, ne tiennent pas la route. Ainsi, dans ce qui ressemble bien à une manière de « noyer le poisson », Dakar n’est pas sur la même longueur d’onde que Nouakchott. Mais le Sénégal n’est pas le seul. On se rappelle, à ce sujet précis, que des pays occidentaux, comme la France et l’Espagne, n’avaient pas suivi, eux aussi, les accusations portées par la Mauritanie contre Ould Limam Chavii, quand, le 28 décembre 2011, à la demande du ministère public, un juge d’instruction du pôle antiterroriste du tribunal de Nouakchott, avait lancé un mandat d’arrêt international contre Mustapha Ould Limam Chaavi, un homme au réseau de relations tentaculaire, jouant parfois le rôle de  conseiller officieux de certains chefs d’états oust africains.

Le refus de suivre le désir de Nouakchott d’impliquer Moustapha Limam El Chaavi dans le terrorisme vient de deux faits essentiels : Aucune preuve tangible de son accointance avec AQMI n’a été fournie par la Mauritanie. Le document  fait ressortir 3 chefs d’accusation  qui renvoient au terrorisme et au crime transfrontalier  en des termes on ne peut plus clair : « financement d’activités terroristes, intelligence avec des groupuscules terroristes et appui financier et  logistique à une organisation terroriste ». La seule chance pour que ce chapelet d’accusations soit pris en compte est qu’il provienne de la France ou des Etats unis, pays qui font de la lutte contre le terrorisme une question de vie ou de mort.

Ensuite, l’homme est un acteur  régulièrement impliqué dans des négociations et tractations  visant la libération d’otages occidentaux enlevés par la nébuleuse terroriste Al Qaida.

Le désir des autorités mauritaniennes de lier le « dossier » de Ould Chavii à celui de trois (3) autres terroristes également sous le coup de mandats d’arrêt internationaux ( Hamada Ould Mohamed Khairou, El Hacen Ould Khlil et   Fawaz Ould Ahmed) n’a pas produit l’effet escompté. Même s’il est établi aujourd’hui qu’Ould Khairou, est le dirigeant d’une branche dissidente  d’AQMI, « l’Unité et le Jihad en Afrique de l’Ouest » (MUJAO) dont la naissance a été annoncée en novembre dernier. Celui-ci a revendiqué le rapt de trois occidentaux (deux espagnols et une italienne) dans un camp de réfugié sahraoui situé dans le Sud Algérien (près de la ville de Tindouf). Les deux autres, Khlil et Fawaz, membres du groupe terroriste dirigé par Mokhtar Bel Mokhtat, alias Belawar, ils auraient pris part  au sanglant attentat de Lemghaity, en 2005, contre un cantonnement de l’armée mauritanienne, aux confins de la frontière avec l’Algérie et le Mali.


Les visées de Nouakchott


En fait, Nouakchott sait pertinemment que les nouvelles autorités de Dakar ne vont pas commettre l’impair de leur refiler un homme de la trempe de Chavii sans véritables preuves de son implication dans des activités terroristes. Car contenter Ould Abdel Aziz risque de provoquer le courroux d’autres chefs d’Etats africains (Burkina, Niger, Cote d’Ivoire) qui ont une autre estime pour l’homme. Et même, l’impliquer dans des activités « illégales » peut, par ricochet, atteindre ces présidents qui ont fait de lui leur conseiller officieux. Surtout le président Burkinabé dont les affinités avec Ould Chavii ne datent pas d’aujourd’hui et qui ne peut rien ignorer de ce qu’il fait.

On peut dire donc que le Rassemblement des forces démocratiques (RFD) a bien raison de parler de « maladresses diplomatiques » évoquant la demande d’extradition envoyée par le ministre mauritanien de l’Intérieur, Mohamed Ould Boillil, à son homologue sénégalais. Le fait qu’elle ait reçu un niet catégorique de la part de Dakar conforte l’idée que personne ne croit vraiment à cette histoire cousue de fils blancs. Mais Nouakchott pourrait aussi avoir d’autres idées derrière la tête : Embarrasser  le nouveau pouvoir sénégalais et se donner le prétexte pour pousser plus en avant sa volonté d’imposer à tous les étrangers des titres de séjours !

Si c’est là le véritable objectif recherché par Nouakchott, il faut s’attendre, dans les prochains jours, à une exacerbation de la tension entre les deux pays. Ce que ni les accrocs entre pêcheurs sénégalais et garde-côtes mauritaniens ni la volonté de Nouakchott de gérer avec rationalité le séjour des étrangers sur son sol n’ont pu entamer risque bien d’arriver avec le déterrement de ce dossier de demande d’extradition de Chavii. Sauf s’il ne s’est agi, en fin de compte, que d’un ballon d’essai par lequel le président Aziz veut tester le degré de « souplesse » de Macky Sall, le nouvel homme fort du Sénégal.


Sneiba Mohamed

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