Aziz face à la « fronde » sociale

Publié le par Abou Mélika

Le pouvoir actuel a tendance à dire que « rien ne sera plus comme avant ». Et l’on entend, par une telle profession de foi, que l’ère Taya, avec tout ce que cela comporte de mauvais souvenirs, de mauvaises pratiques, même s’il faut aussi reconnaître à l’homme quelques bonnes réalisations, est désormais derrière nous. Jamais on n’avait pensé que le changement va inscrire, dans l’air du temps, cette propension des Mauritaniens à manifester pour un oui ou pour un non. Ainsi le gouvernement du Premier ministre Moulay Ould Mohamed Laghdaf est loin d’être au bout de ses peines, après avoir réglé la crise du secteur de la santé. Coût de l’arrangement avec les hommes en blouses blanches : 600 millions d’ouguiyas à dégager du budget de l’année en cours, avec la promesse que cette enveloppe destinée au payement d’une prime de risque à tous les personnels de la santé puisse être augmentée sensiblement. D’aucuns pensent que c’est ce fléchissement du pouvoir, après un mois quand même d’entêtement, qui a poussé les enseignants du secondaire à persévérer dans la même voie utilisant la grève comme moyen de pression sur le gouvernement pour que leurs revendications soient satisfaites. Et, à dire vrai, les enseignants du secondaire qui ont entamé hier dimanche une nouvelle grève de trois jours, après celle des 8, 9 et 10 du mois d’avril dernier, savent qu’ils sont dans une position de force. A moins d’un mois des examens nationaux (Brevet et Baccalauréat) et alors que la plupart des établissements d’enseignement secondaire ont déjà entamé les concours de fin d’année, le super ministère de l’Education national n’a pas droit à l’erreur. Cette grève là ne doit pas durer dans le temps, se prolonger jusqu’à hypothéquer sérieusement la tenue des examens nationaux, au niveau de leur organisation (surveillance et correction) mais aussi de leur aboutissement comme premier succès d’une réforme éducative dont on n’a jamais dit que du mal. Reste à savoir cependant si le gouvernement a suffisamment de moyens pour répondre aux exigences des professeurs du secondaire, dont les revendications chiffrées risquent de rendre la facture très salée en ce moment de crise économique aiguë. Mais le grand risque pour le pouvoir n’est même pas dans la satisfaction ou non de cette catégorie socioprofessionnelle mais dans la possibilité que les grèves des secteurs de la santé et de l’éducation ne servent d’exemples à suivre par tous les autres travailleurs ! Ce serait alors une sorte de Boîte de Pandore qui soumettrait le gouvernement à une noria du désespoir, avec des mouvements de revendications sociales en chaîne se transformant en une sorte de « fronde » presque à l’identique de celle qui a conduit à la chute du président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, le 06 août 2008. Un couteau à double tranchant Dans les faits, le gouvernement n’a pas le choix. Ceux qui l’accusent d’avoir flanché (en donnant un signe de faiblesse) quand il a accepté de satisfaire les doléances des personnels de la santé ne comprennent pas que les Etats de par le monde africain et arabe n’ont plus maintenant la possibilité de résister à la pression populaire. L’exemple de la Tunisie et de l’Egypte et leur antithèse (la Libye, la Syrie, le Yémen et le Burkina Faso) montrent parfaitement les limites de toute action violente pour réprimer le désir de changement des peuples. Les régimes peuvent utiliser la force pour se maintenir mais ils précipitent inéluctablement leur chute quand ils en abusent. Ils se placent alors dans une situation de mouvement irréversible qui doit aboutir aux transformations voulues par les peuples qui ne craignent plus les balles et voient la mort comme l’autre face de la vie. Cette nouvelle problématique du pouvoir éclaire un peu plus la nature des régimes à venir en Afrique et dans le monde arabe. Le pouvoir pour soi n’est plus possible. Le pouvoir pour les autres, oui, s’il se traduit par une vision claire de ce que doit être la démocratie sous-tendue par un réel désir de servir son peuple et sa patrie. Ainsi, tout président « démocratiquement élu » doit savoir qu’il a signé un bail avec le peuple mais que ce n’est nullement pour « régner » plus qu’il ne faut. Il doit aussi savoir que les termes de cet accord ne tiennent qu’au respect, par lui-même et par son gouvernement, de ce que disent les textes régissant la vie politique, sociale et économique du pays, mais aussi de ce qu’il a formulé comme programme électoral susceptible d’être réalisé – « réelisé » – au bout d’un mandat présidentiel. C’est la seule façon pour le président et son gouvernement de s’en sortir à bon compte. L’exemple le plus probant de cette nouvelle donne politico-sociale en Mauritanie est peut-être ce qui se passe aujourd’hui autour de la « gazra » (squat) qui est en train de perturber le sommeil des plus hautes autorités du pays. C’est parce qu’Aziz, son Premier ministre et son ministre de l’Habitat, de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire avaient dit qu’avant fin 2011, l’habitat précaire sera une question du passé que les populations « oubliées » par les recenseurs - ou qui veulent tout simplement avoir plusieurs parcelles à la fois – ont pris d’assaut la Présidence de la République, qui les a réorientées vers la wilaya : Résultat : Chaque nuit, c’est tout Nouakchott qui se donne rendez-vous à la wilaya où des attroupements monstre prouve la complexité de cette question de distribution de terrains. L’Etat qui est pris à son propre piège est obligé d’entrevoir une issue à ce que bon nombre d’observateurs considèrent comme le plus grand succès du pouvoir (distribution de 30.000 parcelles déjà) mais qui peut devenir un échec fracassant, si les contestations se poursuivent et que la « gazra » ne soit pas éliminée de Nouakchott avant la fin du quinquennat du président Mohamed Ould Abdel Aziz. Sneiba Mohamed

Publié dans Politique

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