Aziz : Cet homme qui nous gouverne

Publié le par Abou Mélika

Depuis le 18 juillet 2009, Aziz n’a plus de passé. Les Mauritaniens voient en lui leur présent et leur avenir. Seuls ceux qui considèrent qu’il a « volé sa victoire » continuent à vivre en succédanés le fil des événements qui ont conduit de la Révolution du 3 août 2005 au Sacre du 18 juillet 2009, en passant par la révolte du 6 août 2008 appelée « Rectification » par les partisans du général.

 

Maintenant, la réalité est là : Mohamed Ould Abdel Aziz, né le 20 décembre 1956 à Akjoujt, est passé de général mauritanien, chef de l'État du 6 août 2008 au 15 avril 2009 au statut officiel de Président de la République Islamique de Mauritanie depuis le 5 août 2009. Lourde responsabilité que celle de devoir présider à la destinée d’un pays en chantier depuis près de six décennies.

Que fera alors Mohamed Ould Abdel Aziz pour bâtir un Etat à partir de ce qui n’est encore qu’un puzzle ? L’homme qui est actuellement à la tête du pays doit rassembler patiemment ses éléments pour lui donner une image, une consistance qu'on appelle "Nation". Une tâche qui n'a pas été facile pour le premier Chef de l'Etat (Mokhtar Ould Daddah) qui a dû se surpasser pour éviter la dérive différentielle qu'exacerbent certains chauvinismes, qui dressent les uns contre les autres : ceux qui défendent des privilèges et ceux qui réclament leur suppression.

De tous les Colonels Présidents qui se sont succédés à la tête de l’Etat, après le 10 juillet 78, Ould Taya est peut-être celui qui a réussi, le temps aidant, à penser les tribus en terme de pouvoir. Il avait peut-être le désir de moderniser le pays mais il manquait quelquefois de discernement dans le choix des hommes et dans l'appréciation des faits. Son seul «mérite» était de prendre toujours au dépourvu une opposition dont l'unique erreur est de croire aux apparences et préjuger, de ce fait, des capacités d'adaptation de l’homme à toute situation qui se présente. La politique «en situation», dirait Sartre.

Une situation qui pouvait assurer à « l’homme du 12/12 » une présidence à vie si le colonel Mohamed Ould Abdel Aziz n’avait pas décidé de profiter du séjour de Ould Taya en Arabie saoudite pour mettre un terme à pouvoir de vingt ans. Cet épisode de la vie de ce militaire ayant subi sa formation d’officier interarmes à l’Académie royale de Meknès (Maroc), de 1977-1980, fait partie de l’Histoire à ne pas oublier. Il fonde la remise en cause de la démocratie de Ould Taya et tout le reste. Il fonde le mythe « Aziz ». Protecteur de Ould Taya durant plusieurs années, le colonel commandant le Bataillon de la Sécurité Présidentielle (BASEP) prend subitement conscience de la force qu’il a entre les mains pour devenir président à la place du président. «Aziz » est pleinement conscient de la responsabilité qu’il a jouée dans le maintien du pouvoir de Maaouiya pendant plus de vingt ans. Je l’ai entendu faire son mea culpa à ce sujet lors d’une rencontre avec les membres de la commission de communication de sa campagne. C’est là une sorte d’antithèse de l’attitude de tous ceux qui se sont dérobés à la chute de Ould Taya. Aucun ministre, aucun parlementaire, aucun chef de tribu ou intellectuel n’a voulu assumer une part de responsabilité dans les errements du pouvoir déchu. Curieusement, les laudateurs d’hier – et Dieu sait qu’ils étaient nombreux – se sont transformés en victimes. Pourtant, tout le monde sait que, malgré ce qu’on disait à propos de la Tribu du président, toutes les tribus étaient associées au pouvoir. Elles avaient le pouvoir de nommer et de dénommer, en fonction des intérêts du moment.

On avait cru alors que le nouveau président avait tiré la leçon de l’ère Taya. Le piège qui s’est refermé sur Ould Taya, dès 1987, ne fonctionnera pas cette fois – ci avec Ould Abdel Aziz. La « Mauritanie nouvelle » qu’il voulait bâtir refuserait certainement le Système. La bataille entre les Anciens et les Modernes aura bien lieu. Tribus, Capital et Savoir ne pourront pas faire allégeance au nouveau pouvoir en tant qu’entités associées au pouvoir. Un homme qui a eu le temps de comprendre le Système ne peut pas, de manière si flagrante, mettre en avant ce que lui-même avance comme principaux griefs à l’encontre de son prédécesseur. C’est pourtant ce qui devait arriver.

Le 6 août 2008, suite à une crise politique, le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi accuse les généraux Aziz et Ghazouani de mettre la pression sur les parlementaires frondant contre lui. Le président limoge donc quatre officiers de l'armée dont Aziz. Ce dernier orchestre alors un coup d'État, devient chef de l'État et emprisonne le président Abdallahi.

Le 12 avril 2009, il annonce sa démission de l'armée et de la présidence de la République avant le 21 avril afin de pouvoir se présenter à l'élection présidentielle prévue le 6 juin 2009. L'intérim du pouvoir est assuré - constitutionnellement ?– par le président du Sénat, Bâ Mamadou dit M'Baré.

Finalement les élections du 6 juin n'auront pas lieu, un accord entre Aziz et les opposants au coup d'État est trouvé à Dakar et des élections consensuelles sont organisées le 18 juillet. Durant la campagne précédant cette élection, le général Aziz s'est élevé contre la politique israélienne en Palestine, lui qui, durant l'exercice du pouvoir à la tête de la junte, avait rompu les relations diplomatique entre Israël et la Mauritanie suite à la guerre de Gaza. Il est élu président en juillet 2009 au terme d'une élection dont le résultat soulèvent de nombreux doutes sur sa régularité au sein de l’opposition mais acquiert l’assentiment de toute la communauté internationale.

C’est un retournement de situation que l’opposition mauritanienne n’arrive ni à comprendre ni à digérer. Pour elle, l’élection du 18 juillet 2009 n’a été que le prolongement d’un coup d’Etat non réprouvé énergiquement et qui a fini par faire des émules en Guinée et à Madagascar.

Le second coup d’Etat du général Aziz a été présenté comme une « Rectification ». Une nécessité. Pourtant, il répondra toujours à la définition traditionnelle : « renversement du pouvoir par une personne investie d'une autorité, de façon illégale et souvent brutale ». Le projet révisionniste des généraux et des parlementaires frondeurs aurait été d’en faire une révolution populaire. Sidioca a précipité les choses en décidant de « décapiter » l’Armée.

Si dans la forme, un putsch reste un putsch, la Rectification a été présentée comme une sorte de rédemption. Elle ressemblerait à une sorte de pronunciamiento, soulèvement militaire qui ne prend pas nécessairement la forme de coup d'État. Aziz qui cogérait, dit – on, le pouvoir avec Sidioca n’eut aucun mal à transformer l’essai de ce dernier en reprise victorieuse par le contrôle très rapide des organes centraux du pouvoir. Peut – être bien que le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi dont la tentative de limogeage des généraux a été assimilée à un putsch « civil » manqué par certains, n’a pas compris que le secret, non seulement vis-à-vis de l'extérieur mais aussi vis-à-vis des autres comploteurs (ses alliés politiques), constitue la première arme des putschistes, celle sans laquelle les meilleures préparations risquent de s'effondrer.

La technique de base du coup d'État consiste à s'emparer des organes centraux de l'État ou à les neutraliser, en occupant leurs lieux de fonctionnement qui sont aussi les lieux symboliques du pouvoir.

C'est ainsi que procéda Napoléon Bonaparte, lors de son coup d'État du 18 brumaire. Disposant de l'appui de l'armée, il lui fallait contrôler le pouvoir civil.

Mais il ne suffit pas de s'emparer des organes centraux de l'État. Il faut aussi arrêter les gouvernants, faute de quoi il sera loisible à ceux-ci d'organiser une riposte.

C'est ce qui advint à Berlin, en 1920, où les ministres socialistes, avertis à l'avance, par l'ultimatum du chef militaire des putschistes, prirent le large avant l'arrivée du Corps franc Ehrhardt. Après quoi, une fois réfugiés en province, ils appelèrent avec succès la population à une grève générale dont le succès leur permit de reprendre le pouvoir.

Aziz n’avait pas besoin de tout cela face au pouvoir chancelant de Sidi. Politiquement et militairement, il avait toutes les cartes en main. Le plus difficile n’était pas de prendre le pouvoir mais de le légitimer.

À l'occasion d'un coup d'État, un « vide » constitutionnel et institutionnel apparaît. Il est donc nécessaire, généralement, de régulariser ce vide en créant une nouvelle Constitution, permettant ainsi l'exercice d'un nouveau pouvoir constituant originaire.

C'est ainsi que la Commission consulaire exécutive présidée par Bonaparte présenta, le 22 frimaire, son projet de constitution consulaire aux deux Conseils des Anciens et des Cinq Cents qui l'entérinèrent, faisant ainsi rentrer le nouveau régime dans la légalité. La prise de pouvoir de De Gaulle en 1958, qui s'apparente sous certains aspects à un coup d'État, a conclu à la création de la Constitution de 1958, en vigueur en France.

Une autre solution de régularisation d'un coup d'État peut être trouvée par un plébiscite, comme ceux de Napoléon III, ou par des élections. Ainsi, leur action politique se retrouve légitimée a posteriori. Toutefois, cette solution se déroule souvent après l'établissement d'une nouvelle Constitution, de manière autoritaire, sans recours au suffrage universel et au principe démocratique. C’est exactement, le cheminement suivi par le Haut Conseil d’Etat (HCE) quand la Rectification avait fonctionnait avec une Charte constitutionnelle jusqu’au retour à la normalité par l’organisation d’une élection présidentielle.  

Pour que les résultats du coup d'État soient acquis, il est préférable qu'ils correspondent aux vœux de la majorité de l'opinion publique et qu'ils soient compatibles avec le contexte international.

Le coup d'État de Bonaparte le 18 brumaire répondait à la volonté de la majorité des Français, qui, lassés des agitations révolutionnaires en tous genres, souhaitaient un rétablissement durable de l'ordre, et auprès desquels Bonaparte jouissait d'une forte popularité.

Le putsch des Généraux d'avril 1961, perpétré par quatre généraux connus, bénéficiait lui aussi de l'appui d'une partie de l'opinion mais de l'opinion locale uniquement, car les Français, consultés précédemment par Charles de Gaulle sur l'autodétermination de l'Algérie, s'étaient prononcés massivement en faveur de sa politique. En outre, dans les forces d'Afrique du Nord elles-mêmes, les soldats du contingent métropolitain qui disposaient de nombreuses radios portatives, reçurent directement l'appel prononcé par de Gaulle contre les généraux et refusèrent de suivre leurs supérieurs dans la rébellion.

Le renversement du président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi pouvait répondre à l’un ou l’autre de ces deux scénarios. C’est l’attitude de la majorité des parlementaires mauritaniens et de la rue qui allait établir le rapport des forces entre le camp du président et celui des généraux. La rue bougea mais dans les deux sens. Les différents corps d’armées ne refusèrent pas de suivre les généraux dans la rébellion. La mainmise sur les organes de presse officiels permet au nouveau pouvoir de présenter son coup comme une aspiration des populations, ce qui n’était pas loin de la vérité, les Mauritaniens comprenant que Sidioca n’était pas réellement le détenteur du pouvoir.

Le succès du coup d'État dépend aussi du contexte international : les pays voisins peuvent être favorables ou non à cette entreprise et y réagir ou non militairement.

Dès les premiers jours, le Maroc et le Sénégal n’ont pas caché leur approbation. L’Algérie a réprouvé mollement alors que le Mali a préféré la prudence qu’offre toute attitude équivoque.

Mais les avis qui comptent, en réalité, étaient ceux de la France, de l’Union européenne et des Etats-Unis d’Amérique. La mise en avant de l’Union Africaine, au nom des Accords de Cotonou, n’était, en fait, qu’une sorte de justification par la communauté internationale de toute issue qui comporte un risque de récrimination a posteriori.

On peut dire, dans ce contexte, que le putsch du 6 août 2008 n'a réussi que grâce au contexte international, c’est-à-dire celui de la volonté de la France de s'appuyer sur le général Mohamed Ould Abdel Aziz pour contrer les opérations terroristes d’Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) et de l’Espagne d’arrêter le flux des immigrants clandestins à partir du port de Nouadhibou.

Par contre, le contexte international était résolument méconnu par les dirigeants de l’opposition (FNDD et RFD), comme l'ont démontré les réactions de celle – ci aux démarches entreprises par le pouvoir dans sa volonté de plier la communauté internationale. Désinformée par son propre « service de renseignements », l’opposition mauritanienne avait beaucoup misé sur le rôle que pouvait jouer l’extérieur pour faire échouer le coup d’Etat. Elle estimait impossible que les États-Unis d’Amérique dont le protégé Israël vient d’être chassé de Nouakchott, puisse accepter que le général Aziz s’installe définitivement au pouvoir. Elle pensait que les menaces de sanctions de l’UA et de l’UE allaient avoir de l’effet sur un pouvoir qui s’est appuyé sur la diplomatie parallèle d’Etats européens (France et Espagne) qui privilégient leurs intérêts sur celui des Etats « amis » et de leurs peuples.

C’est cette vérité générale en matière de politique et de relations internationales qui permit au général Pinochet qui a pris le pouvoir le 11 septembre 1973 par un coup d'État militaire contre le gouvernement d'Unité populaire du président socialiste légalement élu en 1970, Salvador Allende de rester longtemps à la tête du Chili. Suite au coup d'État du 11 septembre 1973, le général Pinochet dirige le pays pendant 17 ans, d'abord à la fois comme président de la junte militaire (1973-1981) et comme président de la République auto-désigné (1974-1981) puis seulement comme président de la République dans le cadre d'un nouveau régime constitutionnel à partir du 11 mars 1981.

Aujourd’hui, le Guide qui assure la présidence tournante de l’UA et porte désormais le titre de « roi des rois traditionnels d’Afrique » a prononcé, le 23/09/2009, un virulent discours devant l’Assemblée générale de l’ONU et savouré sa victoire sur le Conseil de Sécurité qui lui a imposé des sanctions en 1992, dont l’embargo sur les installations pétrolières.

Le putsch du général Aziz est loin de tout cela. Il s’inscrit dans la droite ligne de son coup d’Etat contre l’ex – président Taya, effectué sans effusion de sang et presque sans rancune. Du moins jusqu’au moment où il s’en prend, directement, aux hommes d’affaires issus de la tribu de l’ancien président. Il s’agit d’un réaménagement politique auquel lui et ses soutiens ont donné le non de Rectification. Une manière peut – être de reconnaître que l’élection de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi n’a pas été une rupture avec le passé mais une simple « déviation ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans Politique

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
A
<br /> Un blog qui évoque la politique en Mauritanie d'une manière si objective qu'il permet d'appréhender la situation de crise que traverse le pays depuis trois ans.<br /> <br /> <br />
Répondre