Quand l’opposition répond à Aziz : « gabégiste toi-même » !

Publié le par Abou Mélika

L’opposition mauritanienne – celle qui persiste et signe en refusant le dialogue – a organisé, mardi dernier, une table ronde dont l’objectif était de passer au peigne fin la gestion économique et financière du pays, depuis que le président Mohamed Ould Abdel Aziz est aux commandes. Et il ressort des analyses, commentaires et données livrés par les leaders de la Coordination de l’opposition démocratique (COD) que les pratiques du gouvernement actuel dépassent tout entendement dans ce que le pouvoir lui-même appelait – et continue à le faire – les pratiques « gabégistes » héritées du régime de Taya.

Ce qu’il faut retenir de cette nouvelle offensive de la COD c’est la profusion des chiffres qui sont livrés à la dégustation de l’opinion publique nationale. Les conférenciers parlent même de « détournement organisé des ressources de l’Etat », précisant que les politiques économiques mises en place par Ould Abdel Aziz, depuis son arrivée au pouvoir, « ont ruiné le pays et l’ont conduit au bord de la récession ». De même, la COD pointe du doigt le clientélisme politique qui a favorisé un quasi monopole des importations entre les mains d’une poignée d’hommes d’affaires réputés proches du pouvoir.

Au cours de la table ronde du mardi, faite vingt-quatre heures seulement avant la signature de l’Accord issu du dialogue national entre la Majorité et l’opposition participationniste (APP, Al Wiam, Sawab, Hamam), le premier à avoir tiré à boulets rouges sur le pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz est Mohamed Ould Cheikhna Ould Abeid (du directoire  du parti Hatem). Il a commencé par souligner que le président actuel ne s’embarrasse pas de scrupules pour fouler au pied la sacro-sainte règle de séparation des pouvoirs. Il cite, à ce titre, le transfert des compétences du Parlement, au niveau de l’adoption des conventions et accords, au gouvernement qui n’a plus qu’à les faire passer comme une lettre à la poste. Pourtant, note, Ould Cheikhna, la Constitution reconnait bien que les Conventions passent avant les lois et si les premières se trouvent entre les mains de l’Exécutif (convenues par Ordonnances et Décrets), il y a incontestablement une « atteinte » à la hiérarchisation des lois.

La validation de cette procédure par le parlement mauritanien – ou son acceptation tacite – constitue donc une entorse à la séparation des pouvoirs et un recul évident de l’option déclarée – mais non appliquée – de la lutte contre la gabegie.


Confusion des genres


Dans ce premier volet de la table ronde consacré « à la portée juridique du détournement des biens de l’Etat et du saccage des fondements de l’économie nationale », Mohamed Lemine Ould Abeid a aussi souligné que faire le départ, à ce sujet, entre ce qui relève du juridique et ce qui tient du politique est pratiquement une « mission impossible », parce que le résultat sur lequel « se fonde la relation entre les pouvoirs est celle-là même que reconnait la loi » !

Ould Abeid a indiqué que l’essentiel des ressources mauritaniennes proviennent des industries extractives qui sont, par essence, aussi sujettes à extinction étant non renouvelables. C’est pourquoi, dit-il, la prudence commande de les gérer de manière rationnelle pour ne pas porter préjudice aux générations à venir, en privilégiant, le profit que les dirigeants actuels peuvent en tirer.

Dans le second volet de son intervention, Ould Abeid a mis l’accent sur la transparence requise dans la gestion des ressources nationales, confondant celle-ci, si l’on se place du côté du citoyen, avec « le droit d’être informé », principe que certains pays ont rehaussé au statut de droit garanti par la Constitution et qui a pour base la vérité et la transparence. Deux qualités qui font cruellement défaut aujourd’hui, malgré les apparences. Et malgré aussi que la communauté internationale ait décidé de consacrer à cette fin une organisation ('Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives, ITIE) dont l’objectif est de pousser les entreprises de publier combien elles paient et aux gouvernements de divulguer leurs revenus. 

Pour le conférencier, la transparence c’est dire TOUT aux citoyens quand à leur vie quotidienne, à la situation réelle du pays et aux difficultés auxquelles fait face le pouvoir. La transparence passe d’abord par la lutte effrénée contre la langue de bois qui est un credo des médias officiels, pour lesquels, « tout est bien dans le meilleur des mondes possibles ». Tant que le pouvoir tient encore la barre et ne donne pas de sérieux signes d’essoufflement. Un citoyen bien informé est plus à même de juger de la situation, de soutenir ou de s’opposer un pouvoir qu’il est censé avoir lui-même porter au sommet de l’Etat.

Le besoin de transparence dicte aussi le choix d’hommes compétents et dévoués à la cause nationale pour les postes à haute responsabilité, pas que le destin du pays soit livré à ceux dont l’allégeance est sujette à caution (au propre et au figuré).

Le second conférencier dans cette table ronde de la COD, Ahmed Ould Lafdhal (RFD), a choisi de parler de ce qu’il a qualifié de « saccage » au niveau du secteur des mines et du pétrole où la part revenant à la Mauritanie traduit le partage inéquitable entre elle et les sociétés internationales agissant dans ce domaine. Cette quote-part, dira le conférencier est plus faible même que celle revenant à l’Etat mauritanien avant la nationalisation de la SNIM, il y a près de quarante-cinq ans.

Soulignant le manque de données fiables dans ce domaine, « considéré comme un secret d’Etat », note le conférencier, le nombre de permis d’exploration délivrés par les autorités mauritaniennes varie entre 180 et 200 autorisations de prospecter pour trouver de l’or, le fer, le cuivre, le phosphate et le quartz.


Partages inégaux


Ould Lafdhal est en suite parti pour souligner que la société « Tasiast », opérant dans le domaine de l’extraction de l’or, a bâti son projet sur des estimations qui ont depuis beaucoup changées : réserves (10 millions d’onces d’or passées ensuite à 21 millions) ; production (250.000 onces actuellement estimée à 1,5 million d’onces) ; prix de l’or (400 dollars l’once, à la naissance de Tasiast, mais entre 1400 et 1800 USD aujourd’hui). Malgré, ce grand bond qualitatif de tous les indicateurs de Tasiast, que Red Back a fini par vendre à Kinross, la part revenant à la Mauritanie est restée insignifiante (entre 3% et 4%).

La situation n’est pas différente au niveau de MCM (cuivre) où, là aussi, la part revenant à la Mauritanie reste confinée dans la proportion de 3% des ressources énormes générées par cette société. Au niveau de la SNIM, le conférencier trouve que la propulsion de la première entreprise du pays dans des activités comme le transport aérien et les assurances n’est qu’une preuve de plus qu’elle est devenu « l’instrument » d’exécution des politiques économiques irréfléchies du pouvoir militaire qui dirige le pays.

Enfin, en ce qui concerne le pétrole, Ould Lafdhal soulignera que les quantités trouvées ont chuté considérablement passant de l’hypothèse de travail de Woodside (75.000 barils/jour) à une production ne dépassant pas 7000 à 8000 barils/jour, précisant que, malgré cela, l’activité constitue une menace écologique certaine pour la Mauritanie.

 

Le « péril chinois »

 

L’ancien ministre des Pêches et membre du directoire de l’UFP, Hassan Soumaré, a abordé, lui, de revenir sur la convention controversée signée par le gouvernement mauritanien avec la société chinoise Poly-Hondong. Il a essayé, à ce sujet, de produire une série de contre-arguments à tout ce que le gouvernement du Premier ministre, Moulay Ould Mohamed Laghdaf, avait avancé comme « raisons suffisantes » pour permettre à un privé chinois de pêcher (pécher ?) dans la Zone Economique Exclusive (ZEE) mauritanienne pendant 25 ans !

L’ancien ministre a expliqué que la nouvelle armada, qui viendra concurrencer les navires de pêche de l’Union européenne et ajoutera aux soucis quotidiens des opérateurs mauritaniens du secteur, mettre une forte pression sur une ressource halieutique qui n’a jamais été au plus mal qu’actuellement. La construction d’une usine de production de farine de poisson (dont la Mauritanie a eu déjà une amère expérience), les 2500 emplois et le transfert de technologies ne sont, dans la réalité des choses, qu’une couverture pour tout ce que la société chinoise fera de préjudiciable à l’économie mauritanienne au niveau d’un secteur qui emploie, dans ses deux composantes (industrielle et artisanale) des dizaines de milliers de citoyens.


La « paralysie » de la loi de finances


L’intervention du député Saleck Ould Sidi Mahmoud, également vice-président du parti d’obédience islamiste « Tawassoul » a surtout traité de la gestion au quotidien des affaires de l’Etat, mettant l’accent sur ce que le parlementaire a qualifié de « paralysie » de la loi de finances depuis l’arrivée du président Aziz au pouvoir. Il souligne à cet effet que le gouvernement gère le pays par des « crédits d’avance » qui sont approuvés au cours de la dernière semaine de décembre de chaque année !

Il a aussi évoqué le caractère étrange de l’ouverture du président Aziz de « comptes spéciaux », au rythme d’un par an, indiquant que cela est en contradiction avec les lois élémentaires de l’unicité du budget.

A titre d’exemple, il cite le compte spécial ouvert par Aziz, au lendemain de son arrivée au pouvoir, et pour lequel il a « coupé » 16 milliards d’ouguiyas puis, l’année dernière, du compte FAID.

Ensuite, le député de Tawassoul est revenu sur les dépenses qui ont tout l’air d’avoir été engagées par la Présidence en dehors des cadres légaux, tel les 50 millions de dollars américains don de l’Arabie saoudite, ou encore cette lettre de garantie délivrée à la Sonimex, société qui a tout l’air de « rouler », depuis plusieurs années, pour le compte de puissants privés mauritaniens.

Concernant le déficit budgétaire, Ould Sidi Mahmoud a indiqué qu’il est loin des 6 milliards d’ouguiyas annoncés (en réalité 43 milliards d’UM) et les dépenses de fonctionnement censées avoir été réduites seraient, elles aussi, en augmentations constantes : de 120 milliards d’UM, en 2007, ces dépenses passent à 139 milliards en 2008, puis à 162 milliards en 2010 avant d’atteindre, en 2011, 162 milliards d’UM !

Le député Tawassoul a tenté de trouver une partie de l’explication à cette augmentation des dépenses de l’Etat par l’engagement de Ould Abdel Aziz dans ces opérations, certainement coûteuses, au nord Mali que Ould Sidi Mahmoud appelle, avec un brin d’humour noir, de « guerre du Sahara Oriental » !


Sneiba Mohamed

 

 

Publié dans Mauritaniennes

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article